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Zur Kasse

Le Ring

C’est un premier livre très fort qu’a couronné le Prix Georges-Nicole,
un roman tout à fait dans la lignée à la fois exigeante et originale de
ses précédents choix.
En l’espace de quelques minutes Louise venait de lui annoncer des
faits nouveaux pour lui et fort désagréables, ainsi commence Le Ring,
semblant promettre une cascade d’événements qui entraîneront la
lecture. C’est le cas dans les toutes premières pages: Quentin, ayant
découvert sa maîtresse sur le point de partir avec son frère (à lui) en
Amérique et de l’y épouser, part lui-même pour Tahès, au hasard,
répondant à une obscure offre d’emploi. Mais, passés la déclaration
ultrarapide de la rupture et le coup de tête qui propulse le héros dans
le tiers monde (au sens physique et métaphysique du terme), le roman
aussitôt s’englue dans une sorte d’attente, ou de vide, de permanente
béance qu’un style sobre et sans faille excelle à représenter.
Tahès, qu’on chercherait en vain sur une carte, mais que caractérisent
nombre de traits orientaux, est une capitale vague et morne, au climat
pénible, dont la singularité (si c’en est une) consiste en un Ring,
large boulevard dessinant sur le plan de la ville un cercle parfait.
N’habite le long de ce circuit que la population cosmopolite et
favorisée des Européens, préservée des embouteillages, mais condamnée,
sans que personne ne s’en rende bien compte, à sans cesse tourner en
rond pour aller les uns chez les autres, à l’occasion de cérémonies du
reste parfaitement affectées et autistiques, comme le vernissage du fils
Sanariglia. Emblème d’une superficialité, voire d’une nullité des
rapports humains, le Ring enferme ses distingués résidents dans une
sorte de no man’s land, où Quentin ne sent pas même l’envie de
s’intégrer. Au contraire, il y étouffe, par l’effet aussi de
l’hostilité sournoise du décor et du climat, magnifiquement décrits :
plutôt que d’user d’effets faciles de température, Elisabeth Horem
laisse peser dans ses tableaux certaine invisible moiteur, certaine
morosité lourde de lumière, beaucoup plus efficaces, tandis que maint
détail précis, noté froidement (le regard méprisant du portier, la
laideur du logis, la chasse aux cafards), commence à faire sentir
l’aigu d’une détresse absolue, dans un univers littéralement
impitoyable.
Sortant alors du Ring pour pénétrer dans la ville indigène, Quentin
fait trois principales rencontres. D’abord Nina, maîtresse de danse
exilée, amicale et maternelle, puis Clara, avec qui il aura une brève
liaison amoureuse, puis Ghazi, jeune homme dont la beauté ambiguë ne le
laisse pas insensible. Le roman n’analyse pas les motivations profondes
du héros, mais ces trois personnages semblent représenter des figures à
la fois essentielles et impénétrables, dont la force d’attraction
conduit Quentin à s’engluer davantage encore dans la solitude et
l’incommunication. La Nina maternelle rentre en Europe, Clara ne donne
plus signe de vie, il ne sait pourquoi, et Ghazi, résurgence peut-être
du frère brutal et voleur, se révèle une ignoble crapule. Ainsi le Ring
est l’emblème aussi de l’enfermement du personnage sur lui-même, sans
cesse rejeté, incompris, indifférent aux êtres et aux choses.
Enfermement encore face à l’ennemi qui cogne, qui blesse – et face à
l’ami qu’il blesse, qu’il déçoit, par inadvertance, cloîtré dans
l’anneau opaque de son égoïsme.
Comment sortir du cercle infernal? Quitter Tahès? C’est insuffisant. À
l’instant du reste où il va annoncer son congé à son employeur, ce
dernier lui signifie son licenciement. Étrange écho du départ initial,
congédié en quelque sorte par sa maîtresse, et comme renvoyé maintenant
à la case départ. La mort semble dès lors la seule issue possible. Elle
s’offre à Quentin sous la forme d’une très belle dérive, dans une
barque, au fil du fleuve Ovir, enfin une voie qui ne se recoupe pas.
Vraiment? N’est-ce pas plutôt le cycle suprême qui se referme autour de
la figure d’une mère suicidée lorsque Quentin n’avait que 7 ans, parée
d’un trèfle de diamants, que le frère a osé offrir ensuite à sa/leur
maîtresse avant de l’emmener?
Énigmatique sans le moindre obscurantisme, lancinant, de page en page meilleur, Le Ring
fait preuve d’une charge latente considérable, d’une véritable
épaisseur de roman, même si la ligne du récit demeure très simple.
Signe qui ne trompe pas, ce livre fait partie de ces œuvres assez rares
dont la lecture se continue dans un mouvement spontané, comme
indépendant, et c’est par quoi Elisabeth Horem se pose à l’évidence
comme une romancière plus que prometteuse.

JACQUES-ÉTIENNE BOVARD, Le Nouveau Quotidien, 1994

CHF 14.00

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ISBN 9782882411501
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