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Le voyeur

 Lorsqu'en 1955 Alain Robbe-Grillet obtient, pour son deuxième roman publié, Le Voyeur,
le prix des Critiques, le scandale fait rage. Si quelques lecteurs
 modernes , comme Maurice Blanchot ou Roland Barthes, parlent avec
intelligence et admiration du livre, la critique officielle se
déchaîne. Émile Henriot, qui tient le feuilleton du Monde,
traite l'auteur de malade mental et le menace de la chambre
correctionnelle. Il reviendra plus tard sur son erreur, mais Gabriel
Marcel. philosophe catholique et membre influent du jury, démissionne.
Obscénité, ou illisibilité, ou les deux. Les jugements s’arrêtaient là,
qui, aujourd’hui, nous étonnent.L’argument, à nette connotation
policière, du roman est assez clair : un voyageur de commerce,
représentant en montres, arrive dans un île où, semble-t-il, il est né
et a gardé quelques amis d’enfance, pour tenter de placer sa
marchandise. Toute la journée, sur une bicyclette de location, il
parcourt l’île dans tous les sens. Pendant cette même journée, une
toute jeune fille, connue pour son goût du flirt et des fugues, sera
assassinée. Violée, peut-être ? Le récit est mené par Mathias, le
voyageur-voyeur, qui accumule les détails, compte les allées et venues,
les siennes et celles des autres, mesure les temps, vérifie sans cesse
l’état de ses ventes, justifie chacune des secondes qu’il a passées sur
l’île avec une minutie si excessive que le lecteur le plus distrait
doit se rendre compte que le texte tout entier, phrase après phrase,
est là pour masquer, ou combler, un vide dans cet emploi du temps.
Masquer, mais aussi désigner.Car la narration du Voyeur est
tout entière fondée sur cette intuition que la description est, dans
une œuvre littéraire, faite pour égarer. pour empêcher de  voir . Le
XIXe siècle balzacien a vécu sur l’idée que l’écriture pouvait  rendre
compte de la réalité , la faire  saisir  par le lecteur. Pour
Robbe-Grillet, au contraire, fidèle disciple de Flaubert, l’écriture ne
dit pas la  vérité , elle ne dit que l’écriture. Si énigme il y a, le
roman ne peut que dire cette énigme, non la résoudre. Même si des
signes la parsèment (ici, par exemple, les huit, celui que forme
l’anneau rouillé qui va de droite et de gauche sur la pierre du quai
d’embarquement, les ficelles nouées, les roues d’une bicyclette, qui
tournent encore après que la jeune fille est tombée [a été
précipitée ?] du haut de la falaise, etc.), ce sont les indices d’une
duperie profonde : celle de la littérature, qui ne peut que rendre
compte d’un soupçon sur la réalité, la vérité, jamais d’une certitude.Barthes, à propos du Voyeur.
parla de  littérature du regard . Certes, mais l’objet que le
romancier-voyeur regarde, décrit, ne va pas au-delà de lui-même. Au
lecteur de s’arranger avec ce que le romancier lui donne : qu’il ne
compte pas sur l’écrivain pour lui fournir des certitudes, ou le
rassurer. D’où l’étrangeté, à son époque, de ce roman, et du raz de
marée moral qu’il souleva chez les habitués du roman traditionnel, à
histoire, avec un début et une fin. Le Voyeur avait bien un
début et une fin, et une durée, mais qui n’étaient ni claires ni
explicatives. Le roman et, selon son auteur, tout vrai roman, obéissait
à une logique autre, la logique de l’écriture. Rendue plus étrange et
étrangère encore qu’elle prenait le prétexte, et l’allure, d’un fait
divers. Une logique qui allait jusqu’au bout de la critique de Sartre
( Dieu n’est pas un artiste. M. Mauriac non plus ), qui interdit au
romancier d’en savoir davantage, et plus tôt, que ses personnages, sous
peine de leur dénier toute liberté. Mathias est l’un des personnages
les plus libres de l’histoire du roman.  Jean-Jacques Brochier, Dictionnaire des œuvres (Laffont,  Bouquins , 1994).

CHF 29.00

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ISBN 9782707302434
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Verlag Les
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