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L'Île intérieure / Les Yeux safran

Moeri, Antonin (Suisse)

L'Île intérieure / Les Yeux safran

Isabelle Rüf présente L’Île intérieure d’Antonin Moeri à la radio suisse romande

Isabelle Rüf: Dans L’Île intérieure, Antonin Moeri donne un paysage précisément intérieur du trouble d’un jeune homme écrasé par les femmes, une mère, une sœur, ce qui est d’ailleurs un thème récurrent chez lui. Nous avons découvert cet auteur quand il avait gagné le prix de la revue VWA il y a quelques années, et j’avais déjà été fascinée par ce flot verbal, cette habileté langagière, ce plaisir des mots, et puis cette dérision toujours derrière le discours. Il a également traduit le jeune Hohl aux Éditions Zoé, ces nouvelles magnifiques qui relèvent encore du genre narratif. Antonin Moeri est un auteur très marqué par la littérature allemande. Par exemple, Thomas Bernhard.
Il y a un thème qui revient toujours chez Antonin Moeri, celui du rapport à la mère. Il met en scène des personnages écrasés par des mères abusives et, quand on rencontre Antonin Moeri, on ne peut s’empêcher de lui poser la question de l’autobiographie.
Antonin Moeri: Je crée de la fiction à partir d’expériences fortes, d’émotions qui m’ont marqué et que je transpose, car je ne crois pas avoir une admiration infinie pour ma propre personne. Je me regarde un peu comme Rembrandt se regardait pour faire son autoportrait. Il a passé sa vie à faire des autoportraits. Je ne crois pas que ce soit de la vanité que de partir de soi. Si vous songez à Montaigne, il n’a fait que ça : parler de soi. Mais la transposition est indispensable, sinon c’est banal et fatigant pour le lecteur.

I.R.: Donc, d’une certaine façon, ce jeune homme mal à l’aise et indécis, et terriblement écrasé par les prédictions maternelles, ce serait vous.
A.M.: Ah non! Je préfère dire que c’est le narrateur, un personnage qui n’a pas de nom ici. Il pourrait s’appeler Marcel ou Émile. Mais j’ai préféré ne pas lui donner de nom. Pendant longtemps, quand je lisais des livres, je mélangeais narrateur et auteur. Je trouve qu’il ne faut pas le faire. Dès qu’on utilise les mots d’une langue quelle qu’elle soit, on fabrique. C’est une fabrication.

I.R.: Votre narrateur anonyme se définit par rapport à deux pôles féminins: sa mère qui n’a cessé de lui dire qu’il n’était pas capable de…, et sa sœur qui est un modèle de perfection inaccessible. Pourquoi l’avez-vous placé devant ces deux figures féminines, l’une inaccessible et l’autre repoussante, au sens où elle le repousse?
A.M.: Le rapport à la mère est une constante dans ce que j’écris. J’ignore d’ailleurs pour quelle raison. Il faudrait que j’entreprenne une psychanalyse pour démêler ce nœud. En effet, je n’ai pas du tout vécu ce que raconte mon personnage. Je crée une mère très froide, très dure, très distante, très cultivée. Elle pourrait être une aristocrate, une célèbre femme de lettres qui écrase son fils. Je le répète, c’est une pure création de mon esprit, mais je me plais dans cette situation-là. Quant au rapport à la sœur, cette sœur pourrait représenter toutes les grandes pianistes qu’on peut imaginer. En vérité, elle représente toute la musique que j’aime. Quand j’écrivais ce livre, j’écoutais le magnifique trio de Shostakovich. Mais, en dehors de ça, je voulais pour une fois écrire un livre sur l’amour d’un frère pour sa sœur. L’amour pour une sœur est un thème qui traverse la littérature européenne, on le retrouve chez Musil, chez Trakl. Dans la vie, Pascal a aimé sa sœur Jacqueline. J’avais envie de travailler sur ce rapport-là. Je n’ai pas osé mettre en scène l’inceste, mais peut-être qu’un jour…

I.R.: Et ce jeune homme voudrait faire du théâtre. Lui par contre, si elle est pianiste, n’y parvient pas. Le théâtre a joué un rôle dans votre vie. Vous avez fait l’École de Strasbourg et vous avez été acteur.
A.M.: En effet, j’ai joué dans de très bonnes troupes en France. Le théâtre a été pour moi comme un rêve. Je réalisais un rêve d’enfance ou d’adolescence. À seize ans, je me prenais pour Antonin Artaud. Plus tard, j’ai rencontré Roger Blin, avec qui j’ai passé des instants inoubliables. Si je n’avais pas été acteur, je nourrirais d’immenses regrets. La frustration serait immense. Il me manquerait quelque chose. Je suis heureux d’avoir réalisé ce rêve mais, à un moment donné, ce rêve a commencé à me fatiguer. J’ai alors changé de direction.

I.R.: On peut dire aussi que, dans les portraits que votre narrateur fait de la bourgeoisie locale où il peine à s’intégrer, il y a quelque chose de théâtral, dans le sens burlesque justement.
A.M. : Oui, je comprends ce que vous voulez dire, un côté mise en scène. Autant le narrateur se met en scène lui-même, autant il met en scène les personnages qui apparaissent. Les femmes sont souvent assez grotesques, passablement monstrueuses, les types sont plutôt grand-guignolesques, ou simplement ridicules, c’est vrai, il y a un côté théâtre. De même quand je donne la parole à un personnage, il se met à parler comme s’il faisait un monologue sous les sunlights.
Quand le théâtre a commencé de m’ennuyer, j’ai décidé d’écrire dans des carnets. Il y a longtemps que je tiens des carnets: poèmes, descriptions de lumières ou d’animaux, rêves, etc. Tout ça était du matériau brut. Je notais également les phrases d’écrivains que j’aimais. L’écriture fait partie de ma vie depuis longtemps. Mais cette pratique a pris de l’importance quand j’ai reçu le prix de la revue VWA. C’était la première fois qu’on reconnaissait mon travail. Jusque-là, j’hésitais beaucoup. Je gardais les brouillons dans un tiroir. Je dois vous avouer que c’est mon frère qui m’a poussé à envoyer Journal-fiction à La Chaux-de-Fonds. J’ai été agréablement surpris.

I.R.: Vous avez un type d’écriture qui est très frappant. Ne serait-ce qu’à feuilleter le livre, il n’y a aucun paragraphe, c’est très dense, ce flux intérieur coule dans une parole sans fin, c’est très frappant, je voulais vous demander si vous voyez une origine à ce type d’écriture.
A.M.: Non. J’avais envie, là, dans L’Île intérieure, de faire des longs chapitres sans paragraphes. Ce qui n’était pas le cas dans Le Fils à maman. Celui auquel je travaille actuellement a des chapitres beaucoup plus courts. Mais comme c’est ce flux d’écriture, cette musique qui m’intéressent, ça peut couler, je veux dire, je n’ai pas besoin de faire des paragraphes. Alors d’où ça vient? Je sais pas. Pour ce qui est de la forme, vous avez un auteur qui écrit des livres entiers sans paragraphes, c’est Thomas ­Bernhard. C’est évidemment un auteur que j’admire. Je le lis en allemand. Sans doute exerça-t-il une influence sur la forme. Mais le style, la tonalité n’ont rien à voir avec le style et la tonalité de Thomas Bernhard.

I.R.: Votre narrateur rencontre un informaticien assez étrange pendant ses vacances un peu forcées à Djerba, et cet interlocuteur lui donne une sorte de leçon d’écriture. Il lui dit: {…} Il ne suffit pas de faire parler ses sentiments au rythme d’un cœur gonflé. Il faut que la rigueur des phrases sur le papier confine à une perfection mathématique. Musique et mathématique {…}. Est-ce une sorte d’art poétique pour vous?
A.M.: Écoutez, je ne m’y connais pas très bien en maths, je n’ai pas étudié les maths, ce que faisait Beckett par exemple quand il sombrait dans la dépression. Ce que je sais, c’est qu’il y a dans la musique une rigueur qu’on compare à celle des maths. Lorsque j’écris, j’aimerais trouver une rigueur de ce type-là. Oui, alors, dans ce sens, un art poétique, peut-être. Je déteste le flou de la phrase. Je déteste la syntaxe molle. Chez les écrivains que je respecte, comme Pascal, on trouve cette rigueur. Pascal est pour moi un modèle d’écriture.

I.R.: Ça veut dire que vous les travaillez beaucoup vos textes?
A.M.: Alors ça dépend. Il y a des passages qui sont très travaillés, qui me demandent beaucoup de patience et de labeur, où je cherche pratiquement chaque mot de la langue française… est-ce le mot juste, ou plutôt celui-là? Il y a d’autres passages où je privilégie le jet, car je n’écris pas tout le temps. J’écris dans des moments de crise, d’angoisse ou d’intense jubilation. Il m’arrive d’écrire à la montagne. J’écris volontiers à la montagne, à 1 500 ou 2 000 mètres d’altitude.

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ISBN 9782882413048
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Verlag Bernard Campiche
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